Le Pr Marc Gentilini, infectiologue, ancien président de l’Académie de médecine, ancien président de la Croix-Rouge a été l’une des premières voix à dénoncer la démesure des moyens mis en œuvre pour lutter contre la pandémie. Son jugement reste sévère.
Vous êtes de ceux qui ont très tôt affirmé que l’on en faisait trop. Pourquoi ? « Dès le 22 juillet, j’ai parlé de grippe de l’indécence, parce que l’on savait déjà que le scénario catastrophe n’était pas le plus probable. Je crois que deux adjectifs, indécent et démesuré, s’imposent. On a donné dans la démesure par rapport aux problèmes de santé liés à la grippe elle-même et par rapport à l’ensemble des problèmes de santé du monde. Ce que je reproche, c’est le changement de définition du mot pandémie et les errances de l’OMS. Pandémie est un mot qui fait peur, qui a été créé pour faire peur. Il est ré »serve aux maladies qui se répandent sur l’ensemble du globe et qui tuent. Là aussi l’OMS a dit : « Peur importe qu’elle tue, l’essentiel est qu’elle se répande et se répande vite ». Une maladie infectieuse qui se répand vite et qui ne tue pas beaucoup, c’est plutôt une bonne chose car cela fait une vaccination spontanée. » Le doute au début n’était-il pas légitime ? « Je l’ai éprouvé comme tout un chacun. Au mois d’Avril, j’ai compris qu’on sonne l’alerte ; j’ai aussi compris qu’on s’alarme devant premières informations mais pas que l’on persiste. L’OMS a fait fausse route. Heureusement que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, s’est arrêtée avant le stade 6 ! Le pays aurait été paralysé. » Vous dénoncez un recours systématique au principe de précaution ? « Le principe de précaution, on comprend que les politiques s’en servent pour se protéger, agressés comme ils l’ont été pour le sang contaminé, la canicule… Mais le principe de précaution n’est pas un parapluie politique. Ce doit être un principe bien appliqué, géré en fonction du danger encouru, en fonction des moyens disponibles et avec un peu de bon sens. Le problème est celui du bon usage du principe de précaution. Les politiques n’ont pas fait un bon usage du principe de précaution. On ne peut pas faire n’importe quoi sous prétexte qu’on veut la santé des Français. Il faut aussi arrêter ces emballements médiatiques successifs. Comment un pays aussi protégé sur le plan sanitaire que le France a-t-elle pu jouer cette tragi-comédie ? Nous avons trop de moyens. »
Quelle leçon pouvez-vous tirer ce cet épisode ? « Mon but est que cela ne recommence pas en octobre prochain. Il faut revoir la procédure de l’expertise. C’est trop sérieux pour être laissé aux seuls experts sanitaires. Le rôle des experts ne doit pas être de donner les scénarios les plus apocalyptiques, mais les plus raisonnables. De plus, il faut qu’un certain nombre d’acteurs soient associés, y compris les généralistes. Le tissu sanitaire de la nation aurait dû être mobilisé et impliqué, pas méprisé et rejeté comme il l’a été. C’est une erreur majeure d’avoir écarté les médecins généralistes. Et ce n’est pas faute de l’avoir dit, le 13 octobre, lors d’une séance à l’Académie de médecine sur la grippe où la question a été posée directement au directeur général de la Santé. »
in Le Quotidien du Médecin N° 8756 du 23 Avril 2010