« Noir et blanc, jeunes et vieux, occidentaux et orientaux, tout le monde, en effet a dans la tête un tube du « roi de la pop ». Un chiffre suffit à rendre compte de l’ampleur planétaire du phénomène Jackson : ces centaines de millions d’albums vendus, dont 100 pour le seul « Thriller », sorti il y a 25 ans. Aucun artiste ne peut rivaliser avec lui sur la scène internationale. Cette aura mondiale ne suffit pas à expliquer les manifestations d’idolâtrie auxquelles on a assisté à sa mort. L’histoire de Michael Jackson déborde largement le cadre musical. Cet enfant qui refusait de grandir, version rock du syndrome de Peter Pan, s’est hissé au rang de mythe moderne. Un mythe paradoxal et terrifiant. Dernières stars du XXe siècle, il fut la vedette du vinyle et du CD, et non celle d’Internet. Il est aussi la première icône de la mondialisation du XXIe siècle. Réconciliant musique noire et musique blanche, soul afro -américaine et pop internationale, ses chansons constituent une bande – son cosmopolite et éclectique, assimilable par le plus grand nombre. Premier chanteur noir à apparaître sur la chaîne de télévision musicale MTV, Jackson avait compris avant tout le monde les rouages de la standardisation culturelle. Ces clés pour, outil de communication massive réalisée par les plus grands noms du cinéma, le propulsèrent dans tous les foyers. Tandis que, dans les boîtes de nuit, ses rythmes électriques devenaient le plus sensuel des langages universels. En même temps, il demeura toujours une icône américaine, avec ses pantalons courts à la Chaplin et sa propriété baptisée « Neverland », qui évoquait le « Graceland » d’Elvis Presley. Ne disait-on pas également qu’il était « un Disneyland à lui tout seul » ? Mort dans la fleur de l’âge, il rejoint Marilyn Monroe, James Dean ou encore John Fitzgerald Kennedy dans le panthéon des légendes américaines terrassées. Mais ce qui nous qui ne le plus chez lui, c’est cette créature hybride, « génétiquement modifiés », à laquelle il avait fini par ressembler. Puisant ses racines, poussant la négation de lui-même jusqu’au paroxysme, il s’était composé un personnage totalement indéterminé, ni homme ni femme, ni adultes et enfants, ni noir ni blanc : mi ange, ni monstre. Il faisait songer à ces morts vivants apparaissant dans son plus fameux clip, thriller. C’est être tellement irréel préfiguré le monde virtuel dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Le pas de danse qu’il avait inventée, baptisé «moonwalk », donné l’étrange impression qu’il ne touchait pas terre. Ses fans l’ont bien compris : ils le prennent pour un dieu. »
In le Figaro (Sébastien le Fol) juin 2009