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Luc Ferry : « Les musées, des supermarchés culturels dénués de sens »

« …En effet, depuis les années 1990 s’est créé un musée par jour en Europe ! Toutes sortes de musées évidemment : ça peut être des musées des Arts et Traditions locales, le musée de la Crêpe, que sais-je… On a là quelque chose qui est à la jonction entre une exigence touristico-commerciale, d’un côté et, de l’autre, nous avons un mouvement de fond lié à l’histoire de l’individualisme moderne, c’est-à-dire cette volonté, face à un monde du déracinement, de retrouver constamment un sens à l’histoire…(…) »

« … On pourrait effectivement se dire que cela est formidable, même si on n’est pas passionné par tel ou tel artiste, Warhol, par exemple. On pourrait avoir le sentiment légitime que le fait que des gens se précipitent dans des musées –« pendant ce temps, au moins, ils ne sont pas au café » comme disait ma grand-mère ! – est une bonne nouvelle, mais, en fait, il faut se méfier. La vérité, c’est qu’on a remplacé la dimension du sens, qui s’est complètement évanouie, au profit d’une espèce de gigantesque supermarché culturel qui fascine les gens. D’où le danger. Quand vous suivez une classe ou un car de touristes dans les allées du Musée du quai Branly, vous entendez des remarques, devant un masque dogon ou autre, du type : « je n’aimerais pas avoir çà dans mon salon », et on prend pour des œuvres d’art ce qui est symbole religieux dont nous avons perdu la signification. Donc, ce n’est pas si réjouissant que ça…

… Du coup, une blague de Duchamp comme l’urinoir vaut un Veermer et un monochrome de Klein un Van Gogh ! Et, disons-le, Malevitch n’a jamais eu une émotion en faisant son carré noir sur fond blanc. Il a simplement voulu tourner en dérision le modèle de la perspective. Point. Donc, le phénomène de massification du musée est une forme d’abrutissement suprême de la société de consommation, qui ne sait même plus qu’elle est dans un paradoxe insondable : le subversif absolu est devenu la soupe populaire…

… L’objectif absolu – qui revient non pas au ministère de la Culture mais à celui de l’Education –, c’est de redonner la dimension sémantique sans laquelle la visite du musée est contre-productive, car elle met dans la tête des enfants de fausses valeurs. Il faut leur donner les clés pour comprendre, pour ne pas les rendre aussi bêtes que nous le fûmes sans les années 1950. »

In Le Figaro du 28 mars 2009

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