Gaza, Lénine, Mao, Clausewitz et compagnie…
« (…) Les fanatiques du Hamas ne sont malheureusement par irrationnels. Leur action s’inspire d’une stratégie d’une efficacité redoutable, et puise autant ses sources dans Clausewitz et Lénine, voire Mao, que dans Mahomet. C’est une stratégie du faible au fort, qui tend à légitimer l’emploi de la violence contre le droit. On sait l’usage qu’a fait Lénine de la théorie marxiste du droit. Dès lors que le droit est considéré comme un instrument de domination au service de la classe la plus forte, l’usage de la violence par l’opprimé trouve sa justification. Ainsi Lénine a-t-il développé une théorie symétrique de la pensée classique de Clausewitz. Ce dernier considérait que la guerre devait être maîtrisée dans ses moyens et dans ses fins par les mêmes calculs rationnels que ceux qui inspirent la politique d’Etat. Lénine estimait, lui, que, la politique n’étant qu’un instrument de la violence d’Etat, la guerre n’était pas autre chose que la politique poursuivie par d’autres moyens. La conception léniniste du terrorisme a inspiré tous les fronts de libération nationale, à l’exception, en Inde du parti non-violent de Gandhi. Il ne saurait donc être question pour le Hamas de trêve civile, sinon pour reconstituer ses forces et choisir le moment le plus propice à la reprise de la lutte armée.(…) »
« L’emprunt du Hamas à la réflexion stratégique classique ne s’arrête pas là. Clausewitz a également posé pour principe que la position défensive est plus favorable que la position offensive. Or la théorie terroriste de la provocation-répression, qui fut à l’origine exploitée par les anarchistes russes, vise précisément à renverser les positions au bénéfice de l’attaquant, en faisant de celui-ci l’attaqué. L’objectif du plus faible est de porter au plus fort des coups d’autant plus insupportables qu’ils sont imprévisibles et de l’inciter ainsi à déchaîner contre son agresseur devenu l’agressé, les moyens d’une riposte inévitablement disproportionnée.
Pour le provocateur, le bénéfice de son action est double. En premier lieu, la répression se révèle en général beaucoup trop lourde contre un adversaire beaucoup plus mobile. En second lieu, elle auréole le plus faible du prestige de la résistance, voire du martyre, ralliant ainsi à sa cause la masse des hésitants. Enfin, il faut en ajouter un troisième éclairage. Les terroristes ont déduit des guerres totales du XXème siècle la pratique qui consiste à immerger leurs combattants au sein de la population civile : c’est la théorie maoïste du poisson dans l’eau, qui rend le terroriste très difficile à repérer, et surtout impossible à frapper sans provoquer des « dommages collatéraux ». En multipliant les victimes civiles de la répression, le piège ainsi tendu est malheureusement imparable, dans la mesure où il rend les passions de plus en plus difficiles à maîtriser, et la montée des extrêmes inéluctable. (…) »
Par Alain-Gérard Slama In Le Figaro du 7 janvier 2009