En 500 pages enlevées, l’essayiste propose sa vision originale et parfois provocatrice de l’histoire de France.
Selon Alain Minc « Qu’elle est votre première leçon de l’histoire ? La mauvaise relation de la France avec le capitalisme m’apparaît comme un thème majeur. Analysée d’un point de vue historique, elle vient d’une succession de trois évènements : la révocation de l’édit de Nantes, la faillite bancaire de John Law et le traité de Paris de 1763. La révocation de l’édit de Nantes est un pivotement de notre histoire. Les gens croient toujours que l’édit de Nantes ne concernait que la liberté de culte individuel. C’était bien plus : l’acceptation d’une autonomie politique et militaire de territoires protestants en France. C’est ainsi que la révocation par Louis XIV nous a privés d’une bourgeoisie prédisposée « à l’éthique protestante du capitalisme » qui aurait poussé la monarchie absolue à s’angliciser, c’est-à-dire à accepter les débuts d’une évolution vers le parlementarisme. Ce n’est pas sans conséquences dans la marche vers la Révolution. La faillite de John Law sous la Régence, quant à elle, a provoqué un dégoût de la monnaie ; enfin, le traité de Paris qui solda la guerre de Sept Ans entre la France et l’Angleterre eut pour conséquence l’abandon de nos colonies outre-Atlantique et notre renonciation au commerce, parallèlement aux choix fondamental de la France de se cantonner à n’être qu’une puissance continentale. (…) «
« S’agit-il à proprement parler d’un choix ? Il fut en partie involontaire, je vous l’accorde, dans la mesure où l’Angleterre s’est toujours opposée à l’expansion maritime de ses voisins. Pour autant, la France a été le seul pays d’Europe occidentale à pouvoir opter pour la puissance maritime ou continentale, voire les deux à la fois. Pour d’évidentes raisons géographiques, l’Angleterre fut maritime ; les Etats allemands continentaux. La puissance maritime de l’Espagne, quant à elle, est le fruit de son enfermement. Si la France avait eu une véritable ambition sur les mers, elle n’aurait pas si facilement renoncé à ses colonies lors du traité de Paris. Ses meilleurs soldats seraient devenus amiraux, et non pas généraux – la médiocrité du personnel militaire maritime explique au reste bien des désastres. Le choix continental, qui se situe entre Richelieu et Napoléon pour se sceller avec Trafalgar, est lié à plusieurs tropismes territoriaux. D’abord l’illusion italienne, la manière dont les Français se sont engagés dans une impasse stratégique –cela commence avec Charles VIII. Par la suite, l’habile politique de Richelieu vis-à-vis des Etats allemands. Et enfin la Révolution qui, notamment avec le Rhin, nous apporte le mythe des frontières naturelles. Voilà comment l’enchaînement des mythes territoriaux nous a conduits à laisser de côté toute ambition maritime.
Quelles ont été les conséquences de cette résignation ? Elle a confirmé notre abandon d’un destin marchant. L’un des exemples les plus frappants de l’esprit français est son approche coloniale. Les croisades ont préfiguré notre colonialisme dans la mesure où il s’agissait d’une invasion de territoires étrangers pour des raisons religieuses et idéologiques. Tel fut le cas, plus tard, de la conquête de l’Algérie qui fit oublier les difficultés de Charles X et que Louis-Philippe poursuivit au nom de la grandeur. Le colonialisme français débute donc par une diversion, se perpétue par le mythe de la grandeur, et s’achève par une administration technocratique. Regardez Jules Ferry : la conception de la grandeur de l’Empire fait oublier l’humiliation toute continentale de la défaite de 1870. Elle débouche sur l’universalisme français pour se conclure par une administration coloniale à l’inverse absolu de ce que feront les Britanniques. On envoie des fonctionnaires construire des routes au Tchad comme on le ferait en Lozère. Face à cela, comme toujours, l’effet miroir avec l’Angleterre est fascinant. Le colonialisme britannique est celui d’un tout petit pays – on oublie que la France fut à un certain moment dix fois plus peuplée que l’Angleterre. C’est une démarche d’influence, alors que nous mettons en œuvre un colonialisme de pouvoir. Exemple de l’approche Anglo-saxonne ? L’Angleterre tient l’Inde avec moins de 1 000 fonctionnaires civils. Son colonialisme est celui de l’argent, consubstantiel à l’économie capitaliste. Il fa « faire » le capitalisme britannique et se terminera avec des legs assez étonnants, comme la démocratie indienne, qui est un miracle de tous les jours, alors que le colonialisme idéologique français s’achève sans flamboyance, dans une mélancolie que ne connaîtront pas les pays marchands. »
« Une histoire de France » d’Alain Minc (Ed. Grasset) Propos recueillis par Patrice de Méritens et J-René van der Plaetsen In Le Figaro Magazine du 20 septembre 2008