Pour la première fois depuis 1945, c’est le système multilatéral dans son ensemble qui est contesté.
Les Nations unies, du Conseil de sécurité aux institutions financières multilatérales en passant par les agences spécialisées, craquent de toutes parts. Aujourd’hui cependant, tout arrive à la fois : c’est bien d’une crise systémique qu’il s’agit. Le Conseil de sécurité est en blocage récurrent sans qu’existe un ordre international de substitution comme le fut la division du monde en blocs pendant la guerre froide. Les agences spécialisées de l’ONU, essentielles dans la régulation de la mondialisation, souffrent de difficultés certes « traditionnelles » – politisation des nominations, népotisme, mauvais volonté des Etats-Unis – mais aussi d’un refus croissant des puissances émergentes de continuer de jouer le jeu.
Les institutions économiques et financières de Bretton Woods, qui font partie du système de l’ONU, sont, elles aussi mises au défi. Le Fond monétaire international peine à se trouver un rôle dans la nouvelle économie financière internationale. Et la Banque mondiale n’a pas seulement été le théâtre de vaudeville qui a entraîné la démission de Paul Wolfowitz : si elle était à inventer, il est douteux que l’on bâtirait une telle institution; le développement économique passe dorénavant par d’autres, voies. Si l’Organisation mondiale du commerce a une vocation claire, son éventuelle incapacité à jouer son rôle serait une catastrophe pour les échanges internationaux.
Alors même que l’éloge du « multilatéralisme efficace » relève désormais du politiquement correct, le système multilatéral incarné par la famille de l’ONU est menacé pour la première fois dans tous ses aspects.
D’abord, l’éloignement dans les brumes de l’histoire des circonstances qui ont permis la création de ce système à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, le système onusien faisait la part belle aux vainqueurs de la guerre, au plan politique, et aux « vieux industrialisés, au plan économiques. Or, de nouvelles puissances émergent: Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud veulent, avec beaucoup d’autres, leur place au soleil.
A cette polarisation s’ajoute la volonté de certains pays, et spécialement des Etats-Unis – toutes tendances politiques confondues -, de passer d’un ordre international fondé sur la représentativité des Etats, indépendamment de leur régime politique, à un système fondé sur le régime démocratique des pays. L’idée d’un concert des démocraties piloté par les Etats-Unis, promue surtout par le Parti démocrate, est en porte-à-faux complet avec une ONU qui repose fondamentalement sur la renaissance de la souveraineté des Etats. Si l’on ajoute la montée en puissance politique et stratégique des acteurs non étatiques, on peut s’interroger sur la pérennité du système onusien, soixante ans après sa création.
In Enjeux, octobre 2007, by François Heisbourg