L’évidence démographique pour un pays, pour une société est un des plus forts paramètres d’espérance pour un avenir. Elle lui permet de transgresser ainsi le temps et même l’espace.
La population française a muté, mais peu s’en sont aperçu car les experts sont toujours prisonniers des vieux schémas. 4 exemples récents illustrent ce blocage. L’immigration d’abord. Au moment où elle focalise le regard et les inquiétudes, personne ne semble avoir remarqué le développement d’une forte émigration. La comparaison des structures par âge des deux derniers vrais recensements 1990, 1999, fait apparaitre un creux important entre les âges de 20 et 30 ans. L’INSEE n’a pu fournir de preuves et de réflexion. En résumé la France est devenue une victime de la fuite des cerveaux.
Autre chimère, celle du fameux vieillissement de la population. Certes la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans augmente depuis 1 siècle. Mais à mesure que la longévité s’accroit, la santé des personnes s’améliore. L’espérance de vie en bonne santé augmente en effet aussi rapidement au moins que l’espérance de vie totale, ce qui signifie la période de vie en mauvaise santé tend à diminuer ou à pire à se stabiliser. Ainsi, la proportion de personnes en mauvaise santé, notamment en phase terminale de leur existence diminue-t-elle. La croissance de 70 % des dépenses de santé depuis 10 ans ne vient pas du vieillissement mais d’un recours plus fréquent à des techniques médicales assez coûteuses qui se diffusent largement.
3ème mutation inattendue : la fin de la désertification rurale. Les deux premières enquêtes annuelles de l’INSEE montrent que depuis 2000, la population s’accroit le plus rapidement dans les communes rurales. Jusqu’alors le territoire vivait au régime de l’étalement urbain. La population s’installait en bordure des grandes agglomérations, dans la frange dite périurbaine, tandis que le rural profond continuait à se dépeupler, particulièrement, « dans la diagonale du vide », (des Ardennes aux Pyrénées).
Tout ceci est fini, le repeuplement s’amorce vivement un peu partout, plus nettement dans le Sud mais aussi dans des endroits à priori moins attractifs (Les Ardennes ou le Limousin).
La 4ème surprise a été largement commentée récemment : c’est le maintient de la fécondité française au niveau de 2 femmes par enfant ce qui assure pratiquement le renouvellement de la population.
Au fond dans chacun des 4 cas, il suffisait de regarder les chiffres et de les combiner correctement pour constater le changement.
Le mystère ne réside pas dans ces 4 mystères, mais dans le fait de ne pas les avoir vu, de ne pas avoir changé les lunettes sur lesquelles d’autres réalités anciennes avait fini par s’incruster : vieillissement, désertification, dénatalité, immigration.
La méprise est d’autant plus curieuse que ces mouvements se sont amorcés depuis longtemps chez nos voisins. La démographie est pensée en France selon le schéma mis en place entre les 2 guerres. Il est temps d’en changer, d’autant que les chiffres y aident.
Hervé LE BRAS – Directeur du Laboratoire de Démographie Historique de l’école des Hautes Etudes en Science Sociale. Titre : « les 4 mystères de la population française » Edition Odile JACOB.