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DEFAITE DU JOURNALISME ? TV et SONDAGE

Très réussie, l’émission à laquelle Nicolas SARKOZY a participé lors de la campagne électorale présidentielle est une défaite du journalisme.

Mais ne devrait-on pas parler d’une défaite du journalisme devant la télévision, où il résiste sur certaines chaines ?

Il y a d’abord eu une défaite du journalisme à la télévision lorsque les grands journaux du soir se sont mués en chronique de la vie supposée la plus partagée des français. Depuis de nombreuses années, l’information s’y retrouve reléguée vers la fin du journal, sous la forme de brèves. A la fin de ce journal, un invité fait la promotion de son spectacle ou de son film, de temps à autre, un homme politique est invité à participer à une cause qu’on présente comme nationale. Dans l’ensemble, ce sont non pas les français qui s’expriment, mais des français qui viennent raconter ce qui leur est arrivé ou ce qui est arrivé à leurs voisins. Ce ne sont pas des tranches de vie, ce sont des « tranches de cakes », recomposées avec ce qu’il faut de détails anodins ou sordides et de témoignages plus ou moins proches de la réalité.

Il y a ensuite eu une défaite du journalisme devant la télévision, lorsque les journalistes n’ont pas réussi à empêcher que les émissions politiques soient modifiées dans le sens de ces émissions populaires ou ce qui prévaut pour les journaux télévisés s’est étendu à un plus grand nombre de participants. La participation de personnalités diverses, la poursuite de la confession intime, le jugement du spectateur présent sur le plateau, tout à été tenté pour transformer le face à face d’autrefois (deux hommes politiques l’un contre l’autre, un homme politique confronté à un ou quelques journalistes) en double opération de promotion : celle du public, et celle de l’invité. Cela n’a pas été sans réaction. Il ne s’agissait pas de savoir si ces chaines favorisaient ou non tel ou tel candidat mais d’une rébellion contre ce qui est en train de se passer : la démocratie d’opinion, couvée par la télévision comme un œuf particulièrement dangereux, est en passe d’exterminer la seule catégorie qui peut efficacement y résister le journalisme.

Il n’existe qu’un remède à cette fuite en avant : la réintégration du journalisme dans l’expression télévisuelle, sans artéfact, sans gadget, sans la participation du peuple et la fabrication de panel sélectionné. Sinon le couple sondage-télévision va régner sans partage, mais aussi sans le moindre intérêt. Car les sondages eux aussi se sont adaptés à la situation.

Les sondages, jusqu’ici mesuraient la confiance ou la défiance, la bonne ou la mauvaise opinion, la compétence ou l’incompétence, le choix d’un candidat. Désormais, on juge la campagne, on se demande si elle est réussie ou ratée, bien partie ou mal partie. C’est de l’audimat, pas du vote. Les sondeurs relativisant leur pronostic après de douloureuses méprises s’aventurent sur des chemins beaucoup moins risqués et beaucoup plus fugaces. Ce qui faisait la valeur de leur travail, la continuité, la lecture dans le temps cède le devant de la scène à l’humeur du jour, au sentimental, à la rumeur générale. Et ceux sont ces sondages là qui sont livrés à l’opinion qui peut ainsi, se nourrir du culte de son propre reflet.

Tout le monde s’exprime et personne n’écoute.

La chronique de Stéphane DENIS in – Le Figaro – Février 2007.

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