Qui est vraiment Vladimir Poutine ?

Tweet

Email

RSSS

Tweet Email

Où en est la Russie ? L’expulsion des quatre diplomates russes, le 16 Juillet dernier, par la Grande–Bretagne, en représailles au refus de Moscou d’extrader le principal suspect pour le meurtre de l’ex-agent russe Alexandre Litvinenko fin 2006, témoigne, au-delà de la péripétie judiciaire, d’une ambiance de guerre froide. Nous avons demandé à Hélène Carrère d’Encausse où allait la Russie de Vladimir Poutine et qui était vraiment le maître du Kremlin. Comment comparer le regain de tension entre Londres et Moscou autour de l’affaire Litvinenko : la crise actuelle entre dans le cadre général d’un refroidissement des relations entre Moscou et les pays occidentaux. Londres étant proche des Etats-Unis, cet épisode est, au-delà de l’aspect judiciaire, une manière pour Moscou de s’opposer à Washington.

D’où vient cette impression de revenir à l’époque de la guerre froide ? Poutine n’est pas très habile et il tape du poing de manière imbécile notamment avec cette histoire de bouclier anti-missile américain qui prévoit d’installer en République tchèque et en Pologne un système anti-missile officiellement pour surveiller l’Iran- N.d.l.r. Cette agitation inutile montre surtout son manque d’expérience politique. Il croit qu’il suffit de vociférer pour être pris au sérieux. Mais il faut voir que pour la société russe, ces gestes sont très populaires.

Où en est la Russie par rapport à l’Europe ? Une impression qu’il n’y a plus que des sujets de tension : Entre 1992 et 2000, pendant la période Eltsine, la Russie se voyait comme un pays complètement européen. Aujourd’hui, la Russie de Poutine se perçoit comme une puissance mondiale et pense qu’elle peut mieux faire. Elle est donc tournée vers la Chine et joue maintenant sur les deux tableaux. Pour nous, il vaudrait mieux qu’elle se sente européenne, mais d’une certaine manière nous l’avons laissée filer. Pour des pays comme l’Ukraine, la Russie ou la Turquie, il faudrait imaginer des partenariats avec l’Europe.

Vladimir Poutine ne voit pas la Chine comme une menace… : La Chine représente 1 milliard et demi d’habitants et la Russie à peine 140 millions. Vladimir Poutine explique que la Chine et la Russie ont en commun d’être toutes les deux les parias du système international, à qui ont refuse la puissance. Et il n’ignore pas que les Chinois ont commencé à pénétrer en Sibérie –ils seraient aujourd’hui 6 millions. Reste que, dans le jeu global, il joue clairement la carte chinoise contre les Etats-Unis.

Vladimir Poutine est un homme qui n’était pas préparé au rôle qui lui a été assigné. La Russie était, à son arrivée au pouvoir, un pays profondément humilié. Le communisme avait été liquidé par Eltsine, mais l’Etat était inexistant. La Russie a connu le Parti-Etat, mais n’avait pas eu d’Etat ‘’normal’’ depuis 1917. Ajoutez à cela la perte de l’empire : la Russie une fois tombée de son statut de superpuissance, la communauté internationale l’a tenue pour négligeable, et la volonté américaine fut incontestablement de la maintenir dans ce statut zéro. Pour la société russe, ce fut une humiliation intolérable. C’était aussi un pays ruiné par un passage chaotique du communisme à l’économie de marché. Il fallait reconstruire l’économie, sortir du désordre social et rendre à la Russie le visage d’un Etat puissant.

Quel bilan de son action ? Vladimir Poutine a jeté les bases d’un Etat qui fonctionne et a su faire face au danger très réel d’éclatement du pays en recréant la « verticale du pouvoir ». Il a rendu la puissance à son pays et une économie moderne se met en place. Elle croule actuellement sous l’argent, à n’en savoir que faire. Cela permet d’améliorer la condition des citoyens. Tout cela reste très insuffisant, mais par rapport à il y a seulement huit ans, le changement est tangible, ce qui explique la popularité de Poutine.

Les élections présidentielles étant prévue en 2008, Poutine quittera-t-il le pouvoir ? Il a de l’amour-propre et veut rester dans l’histoire de son pays comme celui qui lui aura donné des institutions solides. On reproche quand même à Vladimir Poutine de nombreuses atteintes aux droits de l’homme… Poutine ne tolère aucune opposition et ne veut pas que les oligarques, dont la fortune s’est faite sur la richesse publique qu’ils ont accaparée, en profitent pour s’approcher du pouvoir.

Comment interpréter ces violences russes ? La Russie actuelle ressemble beaucoup au Chicago des années 20 : on ne construit pas des fortunes extravagantes en si peu de temps avec des méthodes normales. Il faut bien voir que la Russie reprend seulement maintenant une histoire qui a été cassée au début du XXe siècle. Après cette coupure de soixante-quinze ans, la reconstruction du pays n’est pas simple. Au fond, ce dont nous sommes les témoins depuis 1991, c’est la réintégration progressive, difficile et chaotique, de la Russie dans l’histoire de la civilisation.

Propos de Hélène CARRERES d’ENCAUSSE

recueillis par Jean-Claude BESIDA, avec Louise ALMERAS,

Famille Chrétienne, n°1541, Juillet 2007.