Bref essai incisif, Hubert Védrine esquisse sa pensée sur le Monde depuis la chute du mur de Berlin.
Après l’effondrement de l’URSS, les occidentaux, marqués par l’angoisse de la guerre froide, croient avoir gagné la bataille de l’Histoire et pouvoir régner en maîtres via leurs « valeurs-vecteurs » : la démocratie était appelée à se répandre partout, et le marché entraînerait dans ses succès bientôt toute la population mondiale, la tirant de la pauvreté et de la dépendance. De Francis Fukuyama à Madeleine Albright, en passant par le nouvel ordre international de Bush père, naïveté et douce illusion nous berce et nous fait oublier ce que disait Raymond Aron, que l’Histoire est d’abord une tragédie. Hubert Védrine s’en prend au concept de la mondialisation heureuse qui porte aux nues la politique « ONG » et la société civile : il ne leur reconnaît ni légitimité ni utilité. Il se prend également au concept flou de « communauté internationale » en démontant le mirage de la régulation internationale et les chimères de l’Europe-puissance si chère à beaucoup de Français.
Hubert Védrine fait une description stimulante du monde tel qu’il est : multiplication des affrontements intra-communautaires, inégalités économiques croissantes, fracture entre les habitants protégés et sécurisés des 30 pays les plus riches et les 175 millions (3% de la population mondiale) condamnés à la migration, problèmes écologiques majeurs, chocs des cultures et des civilisations.
Que faire donc pour parvenir à un monde meilleur ? Il rejette dos à dos les libéraux dogmatiques et les alter-mondialistes. Il s’accroche à l’idée d’une troisième voie et tisse la politique qu’il appartiendrait aux Etats de reprendre en main avec intelligence et doigté. Il fait des propositions concrètes car la troisième voie est étroite : élargissement du Conseil de Sécurité, encadrement du droit de véto, nouveau traité de non-prolifération, convention post-Kyoto, réforme de l’aide alimentaire… S’agissant de l’Europe, il répète la nécessité de clarifier la question de ses frontières, de son pouvoir, de son projet, sans tabou. Il dresse la liste des pays (10 au plus) à devoir encore intégrer l’Union : les Balkans occidentaux, la Suisse, la Norvège et l’Islande. Quant à la Turquie pourquoi lui donner de faux espoirs ? Pour la France : elle n’a pas à rougir de son passé et de ses valeurs. Elle doit rester fidèle à ses engagements : défendre ses intérêts et ceux de l’Europe. Il faut se méfier aussi bien des multilatéralistes intégraux que des européistes sans bornes et de tous ceux qui proclament à l’envi que la France ne peut rien faire seule.
A la suite de cette lecture on peut se demander si plutôt qu’essayer sans cesse de trouver une politique étrangère de droite et de gauche, on ne devrait pas plutôt rompre avec une diplomatie gaullo-mitterrando-chiraquienne qui n’est plus taillée pour les inflexions majeures des mois et années à venir tout en gardant les valeurs d’universalité qui en était le moteur ?
Hubert Védrine, Continuer l’Histoire, Fayard, 2007