En estimant que la précarité dépend plus du contrat de travail que de l’attitude des individus, on pousse ces derniers à se comporter en victimes. Le contrat première embauche (CPE) et le contrat nouvelle embauche (CNE) ont immédiatement relancé la polémique sur la précarité des salariés. En proposant aux jeunes un contrat de travail révocable à tout moment au cours des deux premières années, on ne leur offre qu’une situation précaire… Qui peut dire le contraire ? Et ce n’est pas en affirmant qu’on est moins en précarité avec un contrat CPE dans une entreprise en bonne santé qu’avec un contrat CDI dans une entreprise en difficulté, qui va rassurer.
Pourtant c’est bien le discours sur la précarité qui est discutable. Il induit que la précarité dépend exclusivement du contrat de travail. Le salarié est présenté comme une victime subissant ce nouveau contrat qui le fragilise. Mais prenons l’exemple de deux jeunes qui intègrent une entreprise. Le premier entre en CDI et sitôt la période d’essai passée se considère comme « sécurisé » : quelque soit sa motivation il peut avoir tendance à se reposer sur ses « droits acquis » sans se préoccuper de la perception qu’il donne de lui-même à l’entreprise. Le second embauché en CPE, s’attache à se montrer utile et faire que l’on ne puisse plus s’en passer. Il comprend lui le rapport de force qui repose sur la contribution : dans quelle mesure coûterait-il plus cher de se passer de lui que de le garder ? Une période d’essai de deux ans ne veut pas dire grand chose. Dans la réalité, les chefs d’entreprise se font très vite une idée sur les salariés qu’ils recrutent. De plus, si l’on croit tous les conjoncturistes, un jeune qui arrive aujourd’hui sur le marché du travail est assuré non seulement de changer plusieurs fois d’entreprises mais également de type de travail. Enfin, la vraie précarité ne réside-t-elle pas finalement dans la confiance qu’un contrat donne aux autres acteurs économiques auxquels le salarié est confronté : son propriétaire, sa banque. Ici la précarité réside plus dans le fait qu’il existe trop de contrat et de statuts. Les banques ont la possibilité de « choisir » la clientèle la moins risquée pour accorder un prêt, et les propriétaires les locataires les plus susceptibles d’être « bon payeurs ». Dans l’ordre décroissant de confiance : le fonctionnaire le CDI, le CDD, le CNE, le contrait intérim (degré zéro de confiance). Ainsi la précarité dépend du contexte. Le grand danger est de laisser croire qu’elle en dépend exclusivement. Il faut absolument enseigner aux jeunes à se préparer à gérer leur propre contrôle sur la précarité. C’est possible car la précarité est, contre toute attente, liée à un état psychique qui met l’individu en position de subir et d’attendre que la sécurité lui vienne de son environnement, ce qui est dans le contexte économique actuel de moins en moins probable.
Voir l’article d’Eric Albert, Psychiatre et consultant, in Enjeux, mars 2006