Selon lui il n’y a pas d’universel pur. Dans l’idéal révolutionnaire de fusion entre le peuple et la nation, il existerait un fil invisible entre le citoyen et sa représentation, entre l’un et le tout. A cet idéal s’oppose l’image concrète d’une république qui, au fur et à mesure qu’elle se construit, (et notamment à partir de la loi 1901 portant sur le droit d’association), affirme l’existence et la validité de regroupements libres d’individus autour d’objets sociaux aussi variés que multiples : la société civile dessinait ses contours et se rendait visible.
Une réalité s’est donc intercalée entre l’individu et sa représentation politique, un monde intermédiaire entre les deux mondes idéalisés de l’individu dans sa pureté et de l’Etat/nation dans sa globalité. Tout le siècle qui vient de s’écouler est celui de l’affirmation du moi et de la reconnaissance du groupe d’appartenance dans lequel il évolue. La famille est une de ces communautés. Et elle est à la fois ancienne, car traditionnellement cellule de base dans la civilisation judéo-chrétienne, et moderne puisque loin d’aliéner ses membres elle les affranchit, les réconforte et les sécurise. A l’image de la famille il y a un besoin de communauté en France qui s’affirme de façon naturelle, il n’est pas dirigé contre les institutions de la République et prend des formes diverses : syndicales, sociales, caritatives, cultuelles, culturelles… Le moi solitaire étant inaudible, le moi démultiplié sera perceptible. Ces corps intermédiaires ont modifié la République mais ne l’ont pas désintégrer. Pourquoi ? Parce que ces communautés n’exigent aucune allégeance. C’est d’ailleurs la condition de leur admission : elles sont instrumentales, elles ne représentent pas le « tout » de l’individu mais une partie de sa vie. Les risques de fragmentation de la société, portés par la perte de sens de la modernité, peuvent faire de certaines communautés des « touts ». Pour l’éviter, il revient aux gouvernants d’accepter la communauté comme un segment (c’est à dire un moyen supplémentaire d’assurer la cohésion de la société) en étant impérativement porteurs d’aspirations spirituelles, d’espoirs radicaux capables de faire converger toutes les aspirations particulières (individuelles et communautaires). A l’heure de la globalisation et de la marchandisation des relations humaines, source d’anonymat et d’humanité impensable, les communautés sont des lieux où s’identifie un autre soi-même, une présence réelle, un langage pour sortir de soi. Voilà pourquoi les communautés sont là et se développeront. Elles peuvent être les alliées de la nation et l’un de ses engrais si la République institue un dialogue sans octroi de droits particuliers ou de discriminations (négatives ou positives) qui font justement versé les communautés dans le communautarisme. Voir Jean-Pierre Mignard, Avocat à la Cour et Directeur de la revue Témoin, « Communautés contre communautarisme », in le Figaro, 24 janvier 2001