Il ne faut pas confondre le droit à la différence et les droits différents. Nous sommes tous différents, par notre famille, la culture qui en émane, l’origine de nos parents, nos racines ; de par notre tempérament, nos traits de caractère, notre personnalité. Ces différences constituent notre identité, et ne peuvent être séparées de notre être. C’est ce qui nous rend unique. Mais l’individu unique évolue au sein d’une société où évoluent d’autres êtres uniques comme lui. Nos démocraties sont très attachées à la liberté et à l’égalité de chacun sur notre territoire. Or précisément la liberté démocratique est celle de l’individu pas de la communauté : quelle réalité cette liberté prendra-t-elle dans une société où l’on traitera différemment les gens en fonction de leur appartenance à telle ou telle communauté ?
Le laxisme envers les communautarismes conduit tout droit à l’intégrisme identitaire qui lorsqu’il se manifeste le fait pour défendre une ritualisation à outrance. Or les rituels sur lesquels prennent appui les communautarismes ne sont pas donnés une fois pour toute ; ils sont le plus souvent le produit d’une longue construction historique. En leur accordant à un instant précis des droits particuliers, on contribue à les faire exister de manière permanente et à assigner les individus à résidence. Si on laisse de côté la jeune fille voilée sympathique, chaleureuse, médiatique on peut alors penser aux milliers d’autres jeunes femmes musulmanes qui pouvaient encore faire l’économie du port du voile en prétextant qu’elles se rendaient à leur travail. A-t-on une juste idée des pressions permanentes qui s’exercent sur certaines d’entre elles ? La laïcité n’est pas le domaine réservé de l’Etat et de ses services, en ce qu’elle préserve un espace public, un vouloir vivre ensemble, elle est l’affaire de tous les citoyens. Contrairement à ce que les communautaristes de toute obédience, relayés par les médias et leur avocats de la bien-pensance, cherchent à nous faire croire, est commun non pas ce qui est privé et particulier mais ce qui est public, général ce qui n’est propre à personne parce qu’il est à tous ou du moins au plus grand nombre et débouche sur l’universel. La montée des communautarismes profite de la crise générale de l’Etat providence dans nos sociétés européennes car il a été moins coûteux pour les gouvernements socialistes et socio-démocrates et à leurs successeurs de droite de produire et de distribuer de nouveaux droits que de produire et de distribuer de nouvelles richesses aux classes les moins favorisées, aux laissés-pour-compte de la croissance. Cette production et cette distribution de droits ont en outre l’intérêt pour les responsables publics de maintenir encore l’illusion de l’utilité du cadre national. Le problème est que ces nouveaux droits de faire et de dire se traduisent naturellement par de nouvelles interdictions, qui séparent les communautés et enferment les individus.
Voir Joseph Macé Scaron, « La tyrannie à petits pas », in le Figaro, 19 décembre 2002 et « Communautarisme : l’un et ses multiples », in le Figaro, 22 janvier 2001