« …Le plan d’aide à a Grèce a certes nécessité des semaines de négociations souvent laborieuses mais à l’arrivée, avec le mécanisme mis en place pour sauver Athènes, les pays de la zone euro se sont avancés très loin en terrain inconnu, sans que leurs citoyens en aient vraiment conscience. C’est le paradoxe de cette crise dans laquelle l’Europe, donnant le plus souvent l’impression de piétiner, s’est en réalité engagée dans une voie à haut risque pour les budgets de ses Etats membres. Derrière un arrangement complexe et bien peu transparent alors qu’il engage les finances publiques des plus grandes démocraties européennes, le plan d’aide de 30 milliards d’euros à Athènes revient à faire supporter aux pays de la zone euro le risque de défaut de la Grèce qui était assumé jusqu’ici par des investisseurs internationaux…consentants… Des contribuables européens qui seront en collectivement mis à contribution, si, d’aventure, la Grèce ne parvenait pas à rembourser les dizaines de milliards d’euros que l’Europe s’apprête à lui avancer dans les mois à venir. Maigre consolation : une petite part du fardeau incomberait aussi à la communauté internationale du fait de l’implication du FMI. Mais le gros resterait à la charge des pays de la zone euro et, surtout, de son « banquier en dernier ressort », l’Allemagne. Si les pays de l’Euroland sont prêts à risquer 30 milliards d’euros sur la Grèce, dont la dette avoisine 300 milliards, combien devraient-ils engager pour soutenir le Portugal, l’Espagne ou l’Italie en cas de défiance des investisseurs à l’égard de la dette beaucoup plus importante de ces pays ? La crise grecque a mis en évidence la contradiction de principe qui a consisté, lors de la création de la zone euro, à ce que les Etats membres abandonnent leur souveraineté monétaire au profit d’une banque centrale, sans abandonner leur souveraineté budgétaire. Or, pour fonctionner, une zone monétaire a besoin d’une banque centrale assurant la liquidité mais aussi d’un Trésor public garantissant la solvabilité par sa capacité à lever l’impôt. La solidarité budgétaire entre Etats est expressément interdite par les traités. Un point sur lequel la Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille jalousement. La Cour est de plus en plus méfiante à l’égard du droit européen et de plus en plus protectrice pour le droit allemand… Reste la question de fond : la Grèce pourra-t-elle faire face à ses obligations financières ? Le plan européen a reporté le risque immédiat de défaut. Mais il ne fait que temporiser avant le « vrai plan », celui qui portera sur la renégociation inévitable de la dette grecque. Au cours des cinq prochaines années, la Grèce devra lever 240 milliards d’euros de dette, dont 150 milliards rien qu’au titre principal (hors intérêts). Ce « mur » de dette qui représente une année de PIB est hors d’atteinte pour un pays dont l’économie décline. Athènes va donc devoir étaler sa dette pour éviter les énormes remboursements prévus dans les toutes prochaines années, à l’image de ce qu’avaient fais les pays d’Amérique latine dans les années 80… On le voit, les 30 milliards du plan européen permettront seulement à la Grèce de tenir et d’assurer le paiement à court terme de ses dépenses publiques. C’est seulement lorsque l’on parlera de rééchelonnement que l’on entrera dans le vif du sujet. Lorsque les créanciers commenceront à se partager le coût de l’étalement de la dette grecque et en supporteront la vraie facture dans leurs comptes…en espérant qu’ils ne devront pas rapidement reproduire l’exercice pour un autre pays de la zone euro… »
by Nicolas Barré, in Enjeux les Echos, mai 2010