« Le problème de gestion de la grippe A vient d’une inadéquation entre le modèle quasi militaire de gestion de crise que l’Etat a mis en œuvre et les exigences nouvelles d’une société hyperdémocratique qui fait du citoyen de base, nonobstant son émotivité et son inexpertise, la mesure indépassable de toutes choses. Une « épidémie », une maladie qui touche le peuple et non seulement des individus, est de ce fait un phénomène politique autant – sinon plus – que médical. Mais pour faire une guerre – et pour la gagner – encore faut-il disposer de toute l’autorité et de toute la légitimité pour mobiliser les Français et pour s’en faire obéir. Or, dans la santé, l’Etat n’a cessé de perdre de la légitimité, allant même jusqu’à transférer ses compétences techniques à une dizaines d’autorités administratives indépendantes, des « agences » comme l’Agence de sécurité sanitaire de produits de santé, la Haute Autorité en santé, l’Institut national du cancer, l’Etablissement français du sang, etc. S’étant lui-même avoué incompétent pour ce qui est du cancer, de la sécurité des médicaments et des aliments, de l’épidémiologie, de la santé du travail, des produits dérivés du sang, du sida, etc., l’Etat a du mal à être crédible quand il se proclame chef d’état-major de la lutte contre le H1N1 ! D’autant que de toutes ces agences, aux mains d’experts nommés par l’Etat mais jaloux de leur indépendance, ont promu dans le monde de la santé une culture davantage orientée vers la discussion et la recommandation et que vers l’action et la décision. Depuis une dizaine d’années, l’Etat ne cesse de vouloir « responsabiliser » les assurés sociaux – et pas seulement sur le plan financier – et d’accorder une voix et une place toujours plus grande aux patients en les poussant à être gestionnaire de leur propre santé. Pour la raison plus profonde que le contrat de confiance entre les médecins et l’Etat, nécessaire pour mener la guerre ensemble, est cassé. Des médecins rechignent à se faire vacciner eux-mêmes, qui dénigrent l’efficacité des vaccins et qui, finalement, expriment des vues et des opinions plus proches de celles de l’opinion publique que de celle des experts qu’ils sont censés être. Mais d’un autre côté, comment les médecins ne pourraient-ils pas voir dans cette stratégie un nouveau signe de mépris dont ils se sentent victimes. Encore faut-il qu’il soit approprié par l’ensemble de la société. La diffusion d’une information de bonne qualité ne suffit pas. »
by Claude Le Pen, in Le Figaro, lundi 21 décembre 2009