« Alors qu’en France, l’ouverture des services publics à la concurrence s’étend progressivement à des secteurs tels que la production et la distribution de l’énergie, le transport ferroviaire et la poste, quels sont les effets de cette libéralisation. Un processus qui se généralise depuis la fin des années 1980 dans l’union européenne.
Il faut maintenant savoir concilier l’intérêt public avec celui d’un opérateur privé !, avant de poser la question de la pertinence de cette politique, eu égard aux nouveaux objectifs de l’union européenne, à savoir la cohésion territoriale, la lutte contre le changement climatique et la sécurité énergétique. Il faut dans notre monde contemporain une « régulation intelligente ».
Il est inévitable que l’entreprise privée classique qui doit rendre des comptes à ses actionnaires, cherche à gagner de l’argent le plus rapidement possible, plutôt qu’en investissant dans des infrastructures coûteuses et d’utilisation aléatoire. Seuls les pouvoirs publics, en tant que garant de l’intérêt général, ont les moyens de prendre en compte la rentabilité à long terme. Puisqu’on a maintenant l’expérience de la gestion publique et privée, il doit être possible de développer un bon niveau de complémentarité entre le privé et le public.
Les conditions de libéralisation des services publics ont obéi en partie à des contraintes extérieures : état de la bourse au moment des privatisations, gestion de l’endettement public lors de la création de réseaux ferrés de France, ce qui n’a pas permis d’établir une division du travail adéquat entre les opérateurs. Dans d’autres cas, cette répartition est le résultat de calcul erroné, privilégiant les effets directs et ne tenant pas suffisamment compte des externalités.
L’émergence d’une comptabilité verte serait de nature à réduire les écarts, mais son intégration dans le calcul économique n’ira pas de soi. C’est pourtant un enjeu décisif dans la prise en compte d’objectifs à long terme et dans leur intégration dans les normes du service universel. Il y a là beaucoup de travail pour les Cour des Comptes et les cabinets d’audit qui travaille pour la commission et les états membres.
Dans un contexte de libéralisation, le rôle du régulateur est essentiel. Et l’on sent bien que des opérateurs abusent sans vergogne de leur position dominante ou s’entendent avec leurs concurrents. Les clauses abusives et les tarifications prédatrices se développent sans entraîner de réaction rapide des autorités de contrôle, qui serait plutôt soucieuse de ne pas entraver le libre jeu du marché. En dépit des signaux d’alerte des associations de consommateurs, les opérateurs ont largement le temps de faire des bénéfices excessifs avant que les autorités nationales, la commission, ou même les tribunaux ne les sanctionnent. Quand ils sont condamnés à des amendes, parfois élevé en valeur absolue, elles sont le plus souvent bien inférieur aux profits accumulés.
Il est donc essentiel que le concept de régulation intelligente soit rapidement concrétisé (celui-ci est avancé par Michel Barnier dans son audition par le Parlement européen en janvier 2010). C’est indispensable pour surmonter le scepticisme croissant d’opinion et la convaincre que l’ouverture à la concurrence, en dépit de signaux inquiétants, va dans la bonne direction. Ce concept doit aussi intégrer les inflexions nécessaires pour permettre au marché de prendre en compte les priorités de la cohésion nationale, du développement durable et de la sécurité énergétique. »
In Futuribles 2010 par Jean-François Drevet.