« …Souvenons-nous d’une judicieuse remarque d’Albert Camus : mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Ainsi, est-il opportun de poser le problème du vivre-ensemble à partir d’une notion, l’identité, élaborée pour se protéger du métissage ? De même, faut-il avoir peur du retour des communautés dans la mosaïque sociétale ? Tout un chacun exhibe des symboles religieux. Les corps se tatouent et se percent. Les chevelures se hérissent ou se couvrent de foulards, de kippas et d’autres accessoires. En bref, dans la grisaille quotidienne, l’existence s’empourpre de couleurs nouvelles, traduisant ainsi la féconde multiplicité des enfants des dieux. Il y a plusieurs maisons dans la demeure du Père ! Voilà de longues années, déjà, que l’on assiste au retour des tribus. Que celles-ci soient sexuelles, musicales, religieuses, sportives, culturelles, importe peu, ce qui est certain, c’est qu’elles occupent l’espace public. Voilà le constat. Il est puéril de le dénier. Il est malsain de le stigmatiser. L’on serait mieux inspiré, fidèle en cela à une immémoriale sagesse populaire, d’accompagner une telle mutation, pour éviter qu’elle ne devienne perverse, puis totalement immaîtrisable. Après tout, pourquoi ne pas envisager que la « chose publique » (res publica) s’organise à partir de l’ajustement, a posteriori, de ces tribus électives ? Puisqu’elles sont là, pourquoi ne pas accepter les différences communautaires, aider à leur ajustement et apprendre à composer avec elles ? Après tout, une telle composition peut participer d’une mélodie sociale au rythme peut-être un peu plus heurté, mais non moins dynamique. Il est dangereux de ne pas reconnaître la force du pluralisme, la conjonction d’identification diverses. Le centre de l’union peut se vivre dans la reliance, a posteriori, de valeurs opposées. A l’harmonie abstraite d’un unanimisme de façade est en train de succéder, au travers de multiples essais d’erreurs, un équilibre conflictuel, cause et effet de la vitalité des tribus postmodernes. Il faut avoir l’audace intellectuelle de savoir penser la viridité d’un idéal communautaire en gestation. Seule manière d’accompagner l’inéluctable et dynamique processus des sociétés contemporaines. Et, ainsi, éviter le provincialisme qui guette notre pays… »
by Michel Maffesoli, in Le Figaro, lundi 21 décembre 2009