L’affirmation du rôle de notre langue en Europe et dans le monde va bien au-delà de revendications étroitement « souverainistes », très respectables, mais insuffisantes. Ce qui est contre-productif pour nous-mêmes, c’est de céder aux grands marchés internationaux dont l’obsession est d’uniformiser les goûts et les comportements, donc de broyer les cultures et les langues. Le français a en effet un statut particulier dans tous les organismes internationaux et figure même, avec l’anglais, comme seule langue de travail du secrétariat des Nations unies. C’est ainsi que la France a toujours exigé que le secrétaire général ait une maîtrise suffisante du français.
Pour les fonctionnaires francophones qui se battent pour maintenir l’usage du français dans les grands organismes internationaux, les propos de Mme Pécresse sonnent comme une insulte à leur travail et à leurs efforts, alors que toutes les organisations internationales incitent leurs fonctionnaires à parfaire leur connaissance du français. Mme Pécresse nous annonce qu’elle « ne milite pas pour imposer l’usage – déclinant (sic) – du français dans les institutions européennes à l’occasion de la prochaine présidence française de l’Union ». Bien que ministre de l’Enseignement supérieur, sans doute ignore-t-elle que le fait que le français a été la langue de la première encyclopédie universelle, montre assez qu’il peut être porteur d’une culture aussi scientifique que littéraire. C’est-à-dire que notre langue a vocation à conserver son caractère d’universalité, si l’on entend par là, non pas la prétention de tenir lieu de toutes les langues, mais la capacité pérenne de donner accès à tous les domaines de la culture – scientifique, technique et philosophique. Le débat actuel autour du français et de son rôle est à replacer au sein de la crise générale, de la civilisation et des échanges, que nous connaissons. Milan Kundera s’était livré naguère à une analyse de l’agressivité qui se manifeste, jusqu’en France même, contre notre langue : « Il s’agit, disait-il, d’un courant de pensée, d’une attitude, de comportements qui consistent à critiquer et à fustiger la constitution d’une communauté francophone internationale et surtout à tourner en dérision la volonté des francophones de se doter de législation linguistique et de défendre leur identité culturelle dans le libre-échange des marchandises. »
In Le Figaro, le 19/03/2008, par Philippe de Saint-Robert