L’impact principal de la crise née à l’été 2007 reste à venir.
Les conséquences sur l’économie réelle seront importantes et durables en termes de destruction de richesses, de ralentissement de l’activité, de baisse du pouvoir d’achat et de montée du chômage dans les pays développés. Les effets sociaux en sont déjà perceptibles, concentrés sur les ménages et les pays les plus défavorisés, entraînant la multiplication des protestations contre la baisse de niveau de vie et des émeutes de la faim. Les tensions et les risques politiques se traduisent par le regain du nationalisme économique, des pressions protectionnistes, des critiques radicales contre l’économie de marché.
Mais la crise comporte une dimension salutaire. Elle oblige à affronter la coalition des conservatismes, des corporatismes, des intérêts privés ou nationaux. En touchant le cœur de l’économie ouverte, elle pousse à lui donner des institutions et des règles indispensables, car elle est aujourd’hui déréglée et menacée par l’emballement des bulles spéculatives, à l’origine de chocs de plus en plus violents et dangereux (mini-krash boursier et crise asiatique en 1997, krash boursier en 2001, crise financière et immobilière en 2007).
Car sous la crise cheminent des effets positifs. Les premiers sont la sanction des comportements déviants, des investissements antiéconomiques, des excès spéculatifs. L’aléa moral est aujourd’hui limité à quelques mangeurs de haut vol, mais les institutions financières – avec pour symboles la nationalisation de Nothern Rock et la liquidation de Bear Stearns – comme leurs actionnaires les acquittent au prix fort. Il en va de même pour les nations. Les Etats-Unis sont promis à plusieurs années de croissance molle (2%) et de chômage élevé (passé de 4.5 à 5.5% en un an) et à affaiblissement durable de leur puissance, illustré par le déclin du dollar. Le miracle espagnol laisse la place à une stagflation (croissance revenue de 3.8% à 1.8%, inflation de 4.7%, chômage en hausse de 20% sur un an) du fait des stocks de dettes et de créances douteuses accumulés par les ménages (qui ont emprunté à taux variable jusqu’à 140% de leur revenu), les constructeurs immobiliers et les institutions financières.
La sanction des excès a pour corollaire la réhabilitation de l’économie réelle et le transfert des actifs et du pouvoir économique vers des mains fortes.
L’augmentation des prix de l’énergie et des produits agricoles est rationnelle du fait de leur rareté, efficace du point de vue de la protection de l’environnement et juste socialement (les trois quarts des pauvres sont des paysans). La réorientation du modèle économique du système financier autour de l’évaluation-cotation du risque et de l’encadrement strict des activités de financement et d’investissement est saine.
Avec une croissance de 2.5% en 2007, un chômage à 7.8%, des exportations de 969 milliards et un excédent commercial à 199 milliards, l’Allemagne démontre le bien-fondé d’une stratégie originale basée sur l’investissement, la production industrielle et l’export – en rupture avec les modèles fondés sur la dette, les seuls services financiers et les importations.
Enfin, la crise accélère les innovations technologiques, économiques et sociales ; modèles de régulation du capitalisme. Le centre de gravité de l’économie mondiale bascule ainsi vers le sud (Londres a été dépassée par l’Arabie saoudite en 2007 pour les introductions en Bourse), et particulièrement vers l’Asie provoquant l’émergence d’une économie multipolaire dont la gestion devra être partagée. La nécessité d’une régulation internationale du capitalisme monde, notamment des institutions et marchés financiers, s’impose au-delà de la myriade impuissante des régulateurs nationaux.
Au de-là des mesures d’urgence pour sauvegarder le système bancaire, enrayer la dépréciation des actifs immobiliers, soutenir l’activité par des dépenses publiques, il est impératif d’améliorer la stabilité du système financier : cela passe par des mesures techniques (transparence, gestion des risques), par la suppression des mécanismes pro cycliques (normes comptables, règles de solvabilité…), mais surtout par le changement des règles de rémunération ainsi que par l’harmonisation internationale de la réglementation à travers des institutions multilatérales renforcées.
S’il est légitime de lisser le prélèvement sur les plus pauvres ou les secteurs les plus vulnérables, les pays développés doivent renoncer au protectionnisme ou aux subventions et laisser jouer les prix qui constituent le signal le plus efficace pour modifier les comportements, notamment vis-à-vis de l’énergie. La réponse des pays développés à la crise financière doit se décliner avant tout en termes de productivité, donc l’investissement – notamment dans le capital humain, l’éducation et la recherche – et de travail.
Le Monde, 11/06/2008, par Nicolas Baverez
Dans la même veine "comment tirer parti de la crise" le député du Tarn, Bernard Carayon, vient de réaliser un petit ouvrage "Changeons le monde"assez sympathique à lire et qui vise souvent juste même si son contenu n’a rien de révolutionnaire.