Dans les premiers mois, les Français ne lui tiennent pas rigueur des coups de canif qu’il porte à la symbolique présidentielle : ses amitiés avec les milieux d’affaires et industriels, ses vacances, ses relations avec Cécilia Sarkozy.
La chute brusque que nous enregistrons en décembre 2007 provient de la conjugaison de deux phénomènes : les attentes sur le pouvoir d’achat et la surexposition de sa vie privée, avec le début de son histoire avec Carla Bruni.
Nicolas Sarkozy avait dit qu’il voulait rompre sur le fond et le style avec ses prédécesseurs. Sa rupture sur le fond, les Français – et notamment les catégories populaires – ne la voient pas. La rupture sur le style, ils ne l’acceptent pas.
Le décrochage concerne principalement les classes populaires, sur le pouvoir d’achat, et les personnes âgées, sur l’exposition de sa vie privée.
Plus que les catégories populaires, ce sont en effet les ouvriers qui sont les plus déçus. Car la question du pouvoir d’achat n’est pas seulement une question matérielle, c’est aussi une question d’ordre symbolique. Si Nicolas Sarkozy l’a emporté chez les ouvriers, c’est grâce à la redéfinition d’une alliance capital-travail au sein de la nation. Il avait réussi à établir un lien fort sur cette thématique fierté-travail-mérite, avec sa contrepartie pouvoir d’achat.
C’est vécu par les Français comme un renoncement. Or, l’homme politique ne renonce pas. On a besoin d’un homme politique qui, face à l’adversité, porte toujours hauts les couleurs du volontarisme.
Il baisse aussi fortement dans les classes moyennes. Elles avaient commencé à montrer à partir du sixième mois des signes de fébrilité. Parce qu’elles sont plus attentives à essayer de comprendre la cohérence de ce que fait Sarkozy, elles sont désormais plus inquiètes. Lors de son entretien télévisé, fin avril, tout le monde l’a entendu dire « j’ai fait des erreurs ». Mais comme il ne construit pas un autre récit, on se demande au service de quoi il effectue son mea culpa, quelles sont ses priorités.
Le pays, dans ses différentes composantes, redoute l’échec du sarkozysme ne conduise à une situation comme on n’en a jamais connu dans le passé. Contre lui, il semble dire : « Mais vous avez quelqu’un d’autre que moi ? ». Le danger de cette situation est qu’on a à la fois le monopole du sarkozysme dans l’imaginaire national, mais celui-ci est profondément délité dans le rapport avec celui qui le porte.
In Le Monde, le 10 mai 2008, propos recueillis de Stéphane Rozès par Patrick Roger