Entre sécurité, peurs et catastrophes – deuxième volet de réflexion.
Nos sociétés semblent développer une sorte d’ « addiction à la peur » au sein d’un univers aseptisé. La recherche de sensations fortes devient une règle pour une intensification du rapport au monde ou pour une affirmation de soi. On « joue à se faire peur ». Le principe de précaution offre un riche terrain à de tels comportements, où la moindre rumeur confortée par la méfiance à l’égard des décideurs et la théorie du complot (« on » nous cache tout) déclenche de véritables paniques. A l’inverse, la peur débouche également sur des pratiques d’évitement tout à fait utiles : provoquant une prise de conscience et un calcul de risques qui serviront de moteur à des démarches de protection ou de prévention.
Facteur de troubles, mais aussi de régulation, la peur constitue donc une ressource au cœur du développement durable, en ce qu’elle est culturellement construite autour du couple sécurité-insécurité.
Notons incidemment que le terme « sécurité » est récent, puisqu’il n’apparaît en français qu’au XIIIe siècle et ne devient qu’usuel qu’au XVIIIe.
Sa définition (protection physique et psychologique, emploi, stabilité familiale et professionnelle) varie avec le temps et les sociétés en harmonie avec l’évolution des peurs. De nombreuses questions peuvent être posées sur le hiatus entre peur et danger réel. Un fumeur peut accepter le risque élevé de cancer au regard du plaisir qu’il tire de ses cigarettes ou un automobiliste le risque élevé d’accident au regard des possibilités que lui offre son véhicule, mais le risque d’être contaminé lors d’une opération chirurgicale ou par de la nourriture, même infiniment plus faible, est perçu comme intolérable.
Ces questions sont au cœur du développement durable, en ce qu’elles en déterminent enjeux, écueils et opérationnalité.
L’efficacité d’une politique de gestion durable réside en grande partie dans son acceptabilité : question éminemment subjective et rarement désintéressée. En effet, la durabilité cherche à créer les conditions d’une solidarité à la fois actuelle et intergénérationnelle qui ne va pas de soi : les logiques purement utilitaristes, au sens où seule l’expérience immédiate désigne ce qui est utile donc « bon », sont un biais fréquent.
L’attitude des populations européennes au regard de leurs déchets est révélatrice de cela, comme l’illustre une enquête sur le comportement des habitants à l’égard des ordures ménagères à Maurepas, dans les Yvelines. Préserver l’environnement consiste surtout à ne pas être entouré de déchets. Ce qui renvoie au statut du déchet dans la société.
Ordures et désordre vont de pair. Une des personnes interrogées lors de cette enquête affirme : « Je traverse une zone de terrain remplie d’ordures, à ciel ouvert, c’est vraiment la pagaille. » Tout se passe comme s’il suffisait de faire disparaître poubelles et ordures pour que la pollution disparaisse avec elles.
François Mancebo
La revue des deux mondes, octobre-novembre 2007