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Quand l’Asie exporte ses imaginaires (2/2)

Etrangère aux idéologies, la néoculture populaire asiatique s’élabore à base de produits industriels, dont la finalité est purement mercantile et qui sont ‘’mis à toutes les sauces’’ par ceux qui les consomment. Elle se crée par en bas autant que par en haut, se diffusant au gré de la demande, parfois à la surprise des producteurs, voire malgré eux, par les canaux du piratage, du plagiat et des échanges de fichiers. Loin de générer un ‘’choc des civilisations’’, elle se diffuse avec succès à travers le monde, Occident compris. Sortis dans leur première version en 1996, les jeux Pokémon avaient été vendus fin 2005 à quelques 143 millions d’exemplaires dans le monde, pour plus de 8 milliards de dollars. Partant de rien en 1990, le manga a conquis près de 40% du marché français de la bande dessinée, et il a désormais les honneurs de Télérama, de Madame Figaro, des Echos, et même du Monde de l’éducation. A quoi la néoculture populaire asiatique doit-elle ce succès ?

À son mode de production : à la fin des années soixante-dix, Goldorak fracassait les prix sur le marché des séries télévisées ; aujourd’hui, l’industrie du manga, dont le volume de production est vingt fois supérieur à celui de notre BD, propose jusqu’à 400 pages pour moins cher qu’un mince album ‘’franc-belge’’, et des séries de 10 000 planches, quand les nôtres dépassent rarement quelques centaines.

Mais le succès est aussi affaire de contenu. Notre Titeuf de cours de récréation fait un peu étriqué face à un gamin à queue de singe chevauchant un nuage supersonique, disciple d’un vieillard lubrique, qui affronte, flanqué d’un petit cochon, d’un mini-bonze et d’une pin-up insupportable, d’innombrables adversaires dont d’aucuns usent d’énormes flatulences comme armes chimiques.
Il sauve et re-sauve la Terre et diverses planètes, semant les cadavres de méchants par centaines ; voit mourir ses compagnons, meurt aussi, ressuscite avec eux, meurt encore, tutoie Dieu et découvre qu’Il n’est pas grand-chose ; découvre aussi que la frontière est bien floue entre bons et méchants ; devient père et grand-père sans vraiment grandir – et ainsi de suite au log de 10 000 pages…

Où que ce soit dans le monde, l’imaginaire enfantin et adolescent n’est pas plus bridé par l’héritage rationnel des Lumières, étranger aux jeunes esprits, que ne l’est la créativité des mangakas (dessinateur de manga) japonais, dont la culture nationale n’en est pas dépositaire. Les jeunes Occidentaux d’aujourd’hui et les créateurs asiatiques sont pareillement à l’aise dans le mélange des catégories, le brouillage des frontières temporelles et morales, le flou des certitudes.

Mais le message fondamental que sa ‘’néoculture populaire’’ transmet à l’Asie et, au-delà, à l’Occident, est profondément rassurant. Dans les désordres du manga comme dans les scénarios des dorama court toujours le fil conducteur d’une ligne morale simple et rectiligne : ‘’Effort, amitié, victoire’’ pour les garçons, ‘’Amour, ténacité, dévouement’’ pour les filles, mariage pour tout le monde.
Si compliqué, dangereux et frustrant que soit le monde, rien n’est impossible à qui poursuit son rêve avec sincérité et courage. Et chemin faisant, rien n’empêche de prendre du plaisir au spectacle baroque d’un univers dont la culture asiatique semble aujourd’hui s’accommoder, et rendre compte, avec plus d’aisance que la nôtre.

Revue des deux mondes, octobre-novembre 2007, par Jean-Marie Bouissou

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