Depuis la victoire démocrate au Congrès en novembre 2006, la guerre d’Irak s’aggrave d’une autre guerre à Washington entre George W. Bush et son opposition démocrate. Pour la première fois depuis le début de l’invasion, et en partie à cause d’elle, une Amérique divisée est sortie des urnes : une majorité d’Américains a clairement répudié le bushisme et le président se voit contraint de composer avec un Congrès hostile. Par une ironie noire de l’Histoire, le même Parti républicain qui a voulu tourner la page de l’impuissance et de l’humiliation des années Vietnam, retrouve à la tête de l’une des plus évidentes déroutes militaires et morales de l’histoire des Etats-Unis. Cruel destin, mais dont l’Administration Bush, même désavouée par l’électorat, refuse de convenir. La guerre du terrorisme gagne à ses yeux en crédibilité et en héroïsme du fait même de l’ampleur du chaos irakien. De l’expédition américaine en Irak, et de sa gestion politique et militaire, dépend désormais l’issue des élections présidentielles de 2008. Mais aussi le sort du nouveau républicanisme américain, dont Dick Cheney et Karl Rove restent, dans l’entourage du président, les gardiens impavides. Le vote par les Démocrates des crédits demandés par le président Bush au Congrès pour continuer sa guerre perdue en Irak aura été leur dernière victoire.
Le « grand deal » attendu a finalement eu lieu. La fausse victoire du Parti démocrate s’est transformée six mois plus tard en capitulation. Le 23 mai 2007, la majorité démocrate a accordé à un président Bush lâché par l’opinion, affaibli dans son propre parti, les crédits dont il avait besoin pour continuer sa guerre, sans même le contraindre au moindre calendrier de retrait. Les trois sénateurs qui briguent l’investiture démocrate ont voté contre : Hillary Clinton, Barack Obama et Christopher Dodd. Ils ont cru ménager l’avenir : en fait, George W. Bush a réussi à renvoyer les deux favoris de la présidentielle de 2008, Obama et Clinton, en dehors du consensus bipartisan et national.
Comme pour aggraver le sentiment de culpabilité des Démocrates face à eux-mêmes et à leur manque d’audace, le jour même de la reddition est paru aux Etats-Unis un rapport qui révèle que le Pentagone et le Département d’Etat avaient été dûment avertis, avant mars 2003, des risques de chaos que l’Irak encourait en cas d’invasion américaine. Après l’inexistence reconnue d’armes de destruction massive, l’absence de liens entre Al-Quaida et Saddam Hussein, on apprend que les conséquences du changement de régime ont été délibérément sous-évaluées, malgré l’avis des experts. Peu importe : Ben Laden l’a rêvé, Bush l’a fait.
En attaquant l’Irak, les Etats-Unis ont créé un foyer de terrorisme international beaucoup plus dangereux que l’Afghanistan, qui justifie a posteriori l’invasion du pays et conforte les convictions du président. « L’analyse judicieuse de la réalité – a déclaré un collaborateur du président Bush lors d’un point de presse à la Maison-Blanche – est un exercice de discernement qui n’est plus adapté au monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Désormais l’Amérique est un empire et, quand nous agissons, nous produisons notre propre réalité. Pendant que vous serez occupés à analyser cette réalité – avec tout le discernement requis – nous, nous continuerons à agir, en créant de nouvelles ». Suivant cette logique surréaliste où les défaites se métamorphosent en victoires, G.W. Bush vient de déclassifier des documents Secret Défense du Pentagone pour prouver que l’Irak est désormais le premier front de sa « guerre contre la terreur » : en janvier 2005, Oussama Ben Laden aurait envoyé sur place Abou Moussab al Zarqaoui (éliminé en juin 2006 par les forces américaines) en vue de préparer des attentas en Irak est parfaitement justifiée. …
L’enjeu de la prochaine élection présidentielle est bien celui-là : face à la déroute irakienne, l’Amérique est-elle prête à l’examen de conscience de son propre idéalisme, exercice préalable à tout changement de politique étrangère ? C’est le seul et véritable antidote au bushisme. A défaut, celui-ci risque de devenir dans sa version bipartisane de la guerre, le consensus définitif de l’Amérique de demain, quel que soit le vainqueur en novembre 2008.
Sébastien FUMAROLI (Journaliste politique, critique littéraire, écrivain) In « Politique Internationale » – été 2007 – n°116