Au-delà des échecs rencontrés en matière de développement, le rôle positif des ONG du Nord et du Sud ne paraît pas évident en matière de démocratisation de pays dont elles contribuent à affaiblir les appareils étatiques. Il est tout aussi probable que les progrès observés sur le terrain ou dans les enceintes internationales résultent plutôt d’un concours de circonstances. Souvent citée comme un grand succès du lobbying des ONG, la campagne de plaidoyer contre les mines antipersonnel est à cet égard emblématique. Sa réussite ne tient pas seulement à l’intelligence d’associations qui se sont concentrées exclusivement sur les mines et qui ont su éviter de se disperser dans des demandes de négociations plus globales concernant l’arme nucléaire ou le désarmement. Lancée en 1992, elle doit beaucoup à des fenêtres d’opportunité d’ordre conjoncturel et structurel : des changements de gouvernement en France et en Grande-Bretagne qui ont permis de vaincre les réticences des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ; les hésitations des Etats-Unis qui, par contrecoup, ont convaincu des pays non alignés et traditionnellement opposés à la politique américaine ; le désintérêt des militaires et de l’industrie de la défense, pour lesquels les mines n’étaient pas vraiment une arme utile et un marché porteur, ni même rentable…
De ce point de vue, il convient de ne pas exagérer l’apport des associations de solidarité internationale.
D’abord, les études disponibles montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre l’aide au développement et la démocratisation des pays récipiendaires.
En Ouganda, par exemple, l’assistance internationale a permis au gouvernement de repousser les réformes économiques à entreprendre, de renforcer ses clientèles politiques au détriment des institutions, de financer ses expéditions militaires du Congo et de bénéficier d’une source de revenus qui ne venait pas des impôts et qui ne l’obligeait donc pas à rendre des comptes à la population.
De plus, la démocratie participative que promeuvent les ONG ne doit pas induire en erreur : elle ne privilégie pas forcément les groupes les plus vulnérables mais les plus visibles et les mieux médiatisés. A moins de tomber dans les pires travers du lobbying en monopolisant indûment le débat et l’attention des décideurs, elle ne peut donc prétendre se substituer à une démocratie représentative. La remarque vaut évidemment pour les ONG du Sud.
Le cas des Philippines le montre à sa manière. Après la chute de la dictature de Ferdinand Marcos en 1986, une nouvelle Constitution a théoriquement accordé 25% des sièges parlementaires aux ONG locales. A travers les associations de base, l’idée était de promouvoir les populations les plus pauvres qui ne se reconnaissaient pas dans les élus issus des élites. Mais le système a vite montré ses limites lorsqu’il a pour la première fois passé l’épreuve des élections, en 1998. à l’époque, les politiciens du cru se sont empressés de créer des ONG liges afin de gonfler les suffrages en leur faveur.
Au final, il apparaît que les mérites des associations de solidarité internationale s’arrêtent là où commencent les inconvénients d’un activisme omniprésent, quand l’agitation supplante la réflexion et que des slogans publicitaires remplacent le débat public.
Appliqués au tiers-monde, les présupposés politiquement corrects de la pensée tocquevillienne se heurtent fondamentalement à deux limites intrinsèques.
La première, on l’a vu, a trait à la représentativité d’ONG du Nord qui ne sont pas élues par les populations du Sud.
La seconde concerne le lien de cause à effet entre la vitalité du secteur associatif de l’ouverture démocratique d’un pays.
Il faut bien constater que d’autres types d’acteurs jouent un rôle important en la matière, qu’il s’agisse d’organisations religieuses ou syndicales, sans même parler des mouvements de lutte armée.
Par surcroît, il est difficile d’imaginer que des processus de démocratisation puissent se développer sans l’Etat. Or la stratégie des associations de solidarité internationale consiste précisément à contourner les gouvernements corrompus du Sud pour renforcer les capacités de la société civile par opposition aux pouvoirs publics.
Tout à la fois réformateur et destructeur, l’impact politique d’une telle approche reste à démontrer au cas par cas et nous conduit à relativiser ses conséquences positives. En réalité, les ONG du Nord sont surtout influentes parce qu’elles créent des réseaux transnationaux qui facilitent et standardisent la circulation des ressources, des informations et des normes. Au mieux, elles peuvent donc accompagner des dynamiques de démocratisation portées par des mouvements sociaux issus des milieux étudiants, ouvriers, paysans, politiques ou religieux. Mais elles ne peuvent certainement pas les initier et imposer ex nihilo les valeurs qu’elles tentent d’exporter à partir du modèle parlementaire occidental.
M.A. Pérouse de Montceos (Chargé de recherche à l’IRD et enseignant à l’IEP-Mans). « politique Internationale »– été 2007 – n°116