Pour aborder la synthèse de la pensée libérale de Raymond Aron, nous vous proposons un retour sur les entretiens de accordé en 1981 à Jean-Louis Missika et Dominique Wolton et retracé dans son livre le « Spectateur engagé »
La pensée libérale : une méthode et des valeurs.
La démarche de R. Aron est tendue vers la connaissance objective. Elle est à la fois réaliste, parce qu’elle refuse tout principe transcendant et se place au plus près des acteurs et de leurs décisions ; probabiliste, parce qu’elle envisage toute la gamme des possibles contre le déterminisme ou le fatalisme ; dialectique en restituant la complexité et l’incertitude de l’action dans l’histoire à l’opposé du manichéisme. Sa démarche procède de 4 étapes : le récit, l’analyse, la critique, le jugement. Sa démarche s’ancre dans la fidélité aux valeurs du libéralisme politique reposant sur l’idée que « les hommes font leur histoire même s’ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » et qu’il existe, même dans les sociétés complexes et techniciennes, une autonomie du politique garantie du pluralisme. La pensée libérale = le meilleur antidote au fanatisme.
La posture et l’éthique du « spectateur engagé » n’ont rien perdu de leur intérêt et de leur efficacité aujourd’hui face à un retour en force de l’histoire avec sa cohorte de projets révolutionnaires – désormais incarné dans le fondamentalisme islamique – de violence matérialisée par l’hyperterrorisme et les guerres en chaîne d’Afghanistan et d’Irak, les crises (depuis le krach boursier le plus brutal de l’histoire du capitalisme jusqu’à la cascade de scandales financiers initié par Enron) : « L’essence de l’Histoire, c’est de ne pas résoudre les problèmes. Quand par bonne chance elle en résout un, elle en crée immédiatement un autre. »
Si les problèmes et les configurations historiques changent, les valeurs morales qui conditionnent la survie de la démocratie demeurent : le respect de la vérité et l’engagement pour la liberté. Ce sont deux piliers pour le 21ème siècle qui débute au niveau international sous le signe d’une nouvelle contestation de la démocratie qui renforce les fanatismes enracinés dans l’échec des religions séculières et le renouveau agressif des sentiments identitaires.
Le libéralisme politique de Raymond Aron apparaît là encore le meilleur antidote à ces nouveaux fanatismes dans sa fondamentale recherche de la vérité (même inachevée) et dans le postulat libéral de l’existence d’une raison commune permettant aux hommes de se retrouver par-delà la différence des cultures et des langues, des fois et des civilisations, des Etats et des systèmes de valeurs.
L’ambition qui en découle est qu’il est possible de transformer une collection d’individus en une communauté de citoyens libres parce que raisonnables et ouverts qui admettent à la fois la différence et la nature commune de l’autre.
Raymond Aron « Le spectateur engagé », réédition de Fallois, 2004